
La pathologie de Zemmour, Juif algérien d’origine berbère, comme moi, tient d’une profonde et cruelle fracture identitaire due à notre douloureuse histoire commune. Les Algériens l’ont vomi d’Algérie, lui, comme moi, issu d’une famille plusieurs fois millénaire dans ce pays.
Nous avons tous nos névroses plus ou moins handicapantes et des centaines de milliers d’individus ont eu, comme lui, du mal à accepter cette injustice. Nombre de professionnels auraient pu l’aider dans ses délires de vengeance, de haine et de souffrance psychique.
Mussolini, Staline, Hitler, Franco, Pinochet, et autres cas psychiatriques notoires ont réussi à agréger autour de leur pathologie intime des foules d’individus vautrés dans un nauséabond cloaque de frustration, de haine et de peurs irrationnelles.
Ces despotes ont eu en commun, de par leur profonde démence, une puissante dialectique, une force de conviction impressionnante, et une grande aptitude à falsifier l’histoire.
La tragédie veut que ces malades aient été massivement suivis. Ce sont ces suiveurs qui leur ont permis d’infliger des drames terribles à l’ensemble de l’humanité.
Comme eux, Zemmour a décidé de «soigner» sa dérive en la faisant partager, avec grand talent, à des individus, totalement étrangers à notre histoire, trop heureux de pouvoir asseoir leurs pulsions nocives et leur trouille existentielle sur ses diatribes haineuses.
Pourtant les médias jubilent de ses outrances qui gonflent leur audimat au fil du déroulement de cette campagne présidentielle. On le présentait il y a peu comme un étrange bouffon, un trépignant lutin jonglant allègrement avec le racisme, l’homophobie, la misogynie, et son souhait de rétablir la peine de mort en France.
Il s’évertue à nous convaincre que tous les Musulmans de France fomentent ensemble l’immense projet secret d’imposer leur civilisation à une France totalement vulnérable, son fameux « grand remplacement ». Une forme de « Protocole des Sages de l’Islam » dont le pendant à l’encontre des Juifs a engendré tant de souffrances, jusqu’à ce jour, de par le monde.
Ses pitreries mortifères resteraient gentiment navrantes s’il n’arrivait à atteindre des intentions de vote à deux chiffres en quelques jours avant même d’avoir annoncé sa participation à la course présidentielle.
Ce bouffon est devenu un mutant. Il ne fait plus rire, il fait peur. Il ment et ça marche, il falsifie l’histoire et ça marche, il réhabilite les pires ordures de notre passé et ça marche, il piétine toutes les valeurs humanistes péniblement acquise au fil de l’histoire et ça marche. Il s’ingénie même à déculpabiliser Pétain et Papon qui auraient été, à l’encontre de l’avis de l’immense majorité des historiens ayant planché sur le régime de Vichy, les protecteurs des Juifs français. Sa famille fut, elle, déchue, comme la mienne, de leur nationalité française sous ce même régime.
Beaucoup autour de moi tentent de me convaincre que cette bulle Zemmour est insignifiante et est destinée à éclater très vite. Je ne demande qu’à y croire, mais il a déjà à son actif le fait d’avoir réussi à orienter les responsables politiques de tous les bords de l’échiquier vers ses obsessions, à savoir les Musulmans et l’immigration.
Ces acteurs politiques démontrent là leur incompétence, leur impuissance à lui opposer un vigoureux discours de raison et à investir leur engagement sur les réelles difficultés de notre société.
C’est la raison pour laquelle je redoute le fait qu’il ne s’agit pas d’une bulle, mais d’un mouvement de fond. Il entre en scène dans une France malheureuse, meurtrie et désabusée. Son discours répond à un marasme généralisé provoqué à la fois par une pandémie qui semble s’éterniser, une pauvreté grandissante dans les couches populaires et un violent rejet mainte fois exprimé des formations politiques classiques.
Les dérives totalitaires de par le monde n’ont pu s’imposer que dans un contexte de grande détresse, similaire à celle que la France traverse aujourd’hui.
Ses modèles actuels qui sont Trump (duquel Zemmour reste convaincu jusqu’à ce jour qu’il a été victime d’un odieux complot), Bolsonaro, Orban ou Poutine, nous augure du style de gouvernance qu’il opterait si, par malheur, il accédait au pouvoir.
On ne pourra pas dire que nous ne savions pas.
